À la façon de François Beaune : écriture ludique avec le Lycée du Parc

Projet : Atelier des récits


Écrire sur François Beaune,
à partir de François Beaune, en sinspirant de François Beaune, à François Beaune…

par Agathe, Justine et Hélyette
(étudiantes en CPGE au Lycée du Parc)

 

 

Explorer le processus de création, comment l’écrivain arrive-t-il à effacer sa présence tout en étant présent ? À donner sa voix à ceux qui nen ont pas ? À partir des histoires de chacun faire lhistoire de tous ?

 

Travailler à partir de matériaux bruts, aller à la rencontre des gens, à leur écoute, récolter des petits morceaux de vie pour essayer den faire un tout.

 

 

• Étape une : trouver des gens

 

– Euh lui là-bas, vers l’arbre, il lit, il doit bien aimer la littérature, il va être réceptif

– bon euh qui parle, t’y vas ou j’y vais

– j’y vais? Aaaah j’ai peur… on est sûr qu’on y va

– mais ouiii

– ok bon… j’y vais alors

– Faut qu’on intervieweve un groupe

– mais ça fait peur un groupe, c’est intimidant…

– oui mais bon si on veut un peu de diversité…

– ok mais un petit groupe

– ouais genre trois, quatre max

– eux là ? Ils ont l’air gentils

– ils sont en pleine discussion, j’ai un peu peur de les déranger…

– mais non t’inquiète, ils ont l’air super cool ! Bon qui y va, c’est ton tour non ?

– hum… ah oui parce que avant c’était toi, bon donc je leur demande quoi ?

– bah une anecdote et si on voit qu’ils hésitent euh… leur dernier bon moment ?

– . . . mmmm ok! bon j’y vais

– attends…. eux sur le banc là, ils avaient l’air trop sympa

– on y va?

– moi faut vraiment que je rentre

– non mais attend juste un dernier, ils ont l’air d’avoir des bonnes anecdotes

– bon euuuh, ok… c’est toi qui y va alors

– ok ok, j’y vais… go

 

Etape deux : récolter des témoignages

 

bonjour, est-ce qu’on peut vous déranger 5 minutes, enfin si ça vous dérange pas hein…

– euh, oui oui, euh…

– alors en fait on a un projet littéraire, on aimerait écrire une sorte de grand récit à partir de plein de petites anecdotes… euh du coup, est-ce que vous auriez une anecdote à nous raconter ?

– euh… une anecdote… n’importe quoi?

– oui, oui, ce que vous voulez

– un petit moment de vie

– votre dernier bon souvenir, un souvenir d’enfance…

– euh un souvenir heureux…, euh, j’viens de finir un stage de fin d’étude là, et hum en fait j’suis en éducation spécialisée et je travaillais auprès de jeunes adolescents en décrochage scolaire et euh et là j’ai fini mon stage vendredi et ça a été un beau moment deee deee um d’au revoir, d’échange avec les jeunes et tout ça et avec l’équipe aussi avec qui j’ai bossé, très chargé en émotion et super agréable, très euh, bah très réconfortant et heureux quoi, voilà! … est-ce que ça vous convient ?

– bonjour! est-ce qu’on peut vous déranger quelques minutes? …

– euh… oui euuuhhh….

– en fait on a un projet littéraire, on aimerait récolter plein d’anecdotes et ensuite les rassembler et faire une grande histoire …

– donc est-ce que vous auriez des anecdotes à nous raconter ?

– euh attend, ouais, euh… t’en as toi?

– attends je réfléchis…

– est-ce que vous pouvez repasser dans genre cinq minutes ? Comme ça on a le temps de réfléchir ?

– ouais pas de souci !

– bon bah, euh … à tout à l’heure !

 

– bonjour! est-ce qu’on peut vous déranger cinq minutes?

– … ouais, euh… c’est pour quoi?

– alors on a un projet littéraire, on aimerait écrire une grande histoire, on sait pas trop quoi encore, avec plein plein d’anecdotes qu’on recueille, donc est-ce que vous auriez des anecdotes ?

– que vous voulez bien nous raconter bien sûr !

– hummm … c’est dur hein …

– j’ai que d’la merde qui m’vient

– euh non j’sais pas…

– pas forcément des anecdotes incroyables, juste des petits moments de vie euh… un peu lambda

– des petits moments de vie j’sais pas attends…

– mais sur quoi sur euh genre… la ville, sur … tout ?!

– un dernier, euuuuh, un de vos plus beaux souvenirs les plus récents !

– ok. Euuuuuh, bah en vrai mais c’était aujourd’hui, genre j’me suis réveillé, j’ai fait la vaisselle dans mon appart, j’ai tout cleané mon appart et j’ai mis de la musique pendant toute la journée, j’étais refait, et euh bah j’me suis reposé, j’avais fait une nuit de dix heures,

– oh trop bien

– euh et du coup j’ai mis de la musique toute la journée, j’ai dansé toute la journée tout seul dans mon appart, j’étais trop bien ! Voilà j’ai trop kiffé !

 

Des histoires incongrues

– On faisait une compétition de trottinette avec une grande roue à l’avant et on était, c’était un truc en République Tchèque, on était partis avec mon père, un de ses potes, mon frère et un de ses potes et donc la course part, euh, c’était un sprint, et le pote de mon frère, c’était la première fois qu’il faisait, hummm … une compète de ce type-là, donc ils partent et on les gens qui reviennent, donc Allemand un Italie un autre Français et tout ça et le pote de mon frère on l’a pas vu revenir, et genre un tour, deux tours, on se dit “merde qu’est-ce qui s’est passé?” et tout ça, donc on se dépêche, donc on va le voir, on court vers euh … vers lui pour voir ce qui s’était passé et en fait il était tombé, il s’était détruit les genoux, il était en sang et tout ça donc il a fallu qu’on trouve un hôpital en République Tchèque et on arrive aux urgences, et là le type il nous fait comprendre qu’il comprend pas quand on parle – en même temps on parlait français, on était un peu paniqués – donc là on se met à parler anglais, et là il nous fait non non de la tête – mais euh qu’est-ce que vous parlez comme langue en fait? – et il nous répond « czech and rrrussia” et là on s’est dit ça va être très très long

(rire de lauditoire)

 

– on a trouvé un chien dans notre cave qui avait été abandonné par euh par des gens, on sait pas qui et euh du coup euh euh l’a récupéré et tout et là on a un pote qui l’a adopté et voilà, trop mignon

 

– il se trouve que j’ai fait des euh… des tournois d’échec

 

Et des coïncidences

 

– j’ai terminé mes études, et euh j’ai trouvé un stage ici

– ah trop cool! et tu faisais quoi comme études ?

– humm école d’ingé

– ok t’as fait quelle école?

– centrale Lille

– mes parents aussi

– c’est vrai ? Tes parents ?

– ils se sont rencontrés là-bas

– c’est vrai ?! putain, stylé

 

Etape trois : la création

Ecouter les témoignages, faire infuser en nous, les réécouter, les laisser s’imprégner, faire résonner en nous, chercher des échos, rassembler, assembler, harmoniser (ou pas), articuler, relier, se faire inspirer

 

Etape quatre : écrire, réécrire, désécrire jusqu’à satisfaction

 

•••••••••

Nos voix

 

– J’ai pas vécu d’histoires intéressantes… Je ne suis pas bonne pour les raconter… Et j’ai du mal à parler… J’ai un cancer de la langue…

Tant de paroles gangrenées par un cancer, qui prive l’humanité de sa voix. Tant de voix rendues rendues muettes par une maladie qui les empêche de parler. Tant de mots témoins de l’humanité portée par chacun qui s’évanouissent dans un silence maladif.

Ce sont ces mots, fugaces, expressions d’un moi, d’un nous, auxquels je veux donner voix, avant qu’ils ne sombrent dans l’abîme du silence.

dans l’herbe, un livre à la main

– Je suis marqué par les jours qui passent, je repense, y’a un an, y’avait le soleil aussi, il est là aussi ce soir…

j’entends

I hadn’t realized I could see the giraffes from here. From here it looks like there is no barrier…Perhaps they could just come and walk over to me. It reminds me of stories my mother told me when I was young. Once, she was trying to take a picture of a large elephant from behind. And, she stepped on a stick, and she made a noise. And then the elephant turned around, and started to move towards her. She doesn’t have the picture because she dropped the camera and it got stepped on.

sur un banc

– C’était aujourd’hui, genre, j’me suis réveillé, j’ai fait la vaisselle, j’ai tout cleané dans mon appart. Et j’ai mis de la musique toute la journée, j’ai dansé tout seul. J’me suis reposé de ma semaine de taf, j’avais fait une nuit de dix heures. J’étais trop bien, j’ai trop kiffé.

sous un arbre

– J’ai fait des tournois d’échec. Tu sais, c’est ennuyeux, tu joues, t’attends, tu rejoues… Et puis il se trouve que dans cette pièce, mon regard a croisé celui d’une nana. J’ai regardé le classement pour essayer de perdre ou de gagner pour essayer de tomber contre elle. J’ai pas été assez précis, du coup on est jamais tombés l’un contre l’autre et j’ai abandonné l’idée de la voir. Et il se trouve que six mois plus tard, je vais à mon cours d’échecs, et qui est-ce que je retrouve ?

dans l’herbe, livre posé à côté de lui

– Ce qui me marque, ce sont les rencontres, aussi bien à travers les livres que je lis, les personnes que je croise… Et puis ces personnes qui me posent des questions étranges…

sous le même arbre

– Je retrouve la meuf en question, qui était arrivée à ce cours-là un peu par hasard. Plus tard, elle m’a avoué qu’elle avait aussi essayé de tomber contre moi. On est sortis ensemble ensuite.

François

– Ce livre aussi m’a marqué. Hier, j’avais un débat avec un ami, genre un vrai débat : on voyait qu’on était d’accord, qu’on se comprenait mais que y’avait aussi des différences. Et puis ce matin, en ouvrant le livre, y‘avait une page, et, c’était totalement le débat qu’on avait eu la veille. Et ce qui était bien, c’est qu’on avait abouti sur le fait qu’on se comprenait très bien, mais qu’on utilisait pas les mêmes mots. Le fait de retrouver le débat dans le livre là, à peine quelques heures plus tard, c’est extraordinaire.

« Le cerveau et l’esprit qui sont l’un en l’autre, ont chacun un langage incompréhensible pour l’autre. Le langage du cerveau est électro-chimique, le langage de l’esprit est celui des mots et des phrases. La relation cerveau-esprit est intelligible au premier abord. Cette relation est mutilée par les types d’explications dominants qui s’opposent. Le premier est réducteur, il nie la réalité de l’esprit qu’il dissout dans le cerveau. Le second est disjonctif, l’esprit est une réalité propre qui dispose du cerveau comme d’une antenne de télévision »[1].

En gros, lui était peut-être plus, avec son vocabulaire, dans la première approche. Et moi, peut-être plus dans la deuxième. Mais en fait on se comprenait.

journal à la main

– J’ai pas fait d’études, je me suis arrêtée au bac, j’ai tout de suite enchaîné les petits boulots. Vous savez, le bac c’est pas professionnalisant. J’avais fait un bac littéraire, et j’ai travaillé dans l’assurance. J’étais secrétaire, je faisais les petites tâches. Vous avez la chance, vous, de faire des études…

écho

– J’ai déménagé hier. J’ai fini mes études, j’ai trouvé un stage ici. Avant j’habitais à Lille, j’étais dans une école d’ingé.

journal sur les genoux

– …j’aimerais retourner à la campagne pour la retraite… Mais c’est trop compliqué. La voiture c’est trop cher, et sans, c’est pas possible, y’a pas de médecins, pas de services… J’ai horreur de la ville. Le bruit, les voitures, la pollution.… Heureusement qu’on a le parc, ici. C’est un coin de verdure bienvenu. Enfin, ce n’est quand même pas la campagne…

sur une nappe de pique-nique

– Dans ce parc justement, avec les copines on avait fait un super bon apéro. Bières Leffe, rouges précisément. On savait que le parc fermait à 21h, on avait encore dix-quinze minutes, on n’était pas loin de la porte, et puis, vers cinquante-cinq, bon d’accord, peut-être un tard, vers cinquante-sept, on se dirige vers la porte.… Elle était fermée.

debout, livre posé par terre

– … j’ai vraiment été marqué cette année, par tout ça… Par un rayonnement…

Rayonnement de moments, de personnes, d’histoires qui s’entremêlent et se font écho. Rayonnement des sourires des conteurs improvisés faisant revivre devant moi de précieux instants de vie.

Il y a tant de gens qui se frôlent sans jamais se parler. Tant de mots non prononcés qui s’évaporent à jamais.

Dans ces paroles, l’essence reste la même. Seule change la voix qui les prononce. Ces mots, ce sont les leurs. Ce sont les miens. Ce sont les nôtres.

 

[1] Edgar Morin, Connaissance, ignorance, mystère

 

 

•••••••••

 

Il n’y a jamais de bonne façon de se présenter. On omet toujours quelque chose. Même au travers du regard des autres la description n’est pas parfaite. Rogner par les préjugés, les non-dits, les faux-semblants, les mensonges et la confusion. On se comprend mal. Les mots sont autant nos alliés que nos ennemis. S’exprimer est difficile, il faut s’accorder sur les termes que l’on utilise. Et, il faut se l’avouer, s’accorder n’est pas notre point fort.

Je me connais aussi mal que bien.

 

6h30 : C’est l’ouverture. Le calme avant la tempête. Encore un peu de répit avant de voir défiler une foule aux visages aussi singulier qu’unique.

 

Je suis marqué par tous ces gens, que ce soit le temps d’un instant ou plus. Je suis marqué par les jours qui passent. Par cette année qui m’a marqué. Je repense à il y a un an le soleil qui brillait aussi. Je suis marqué par les rencontres, livres, amis, famille ; marqué par un rayonnement. Ce rayonnement qu’ont les gens autour de moi et sur moi. Je m’imprègne d’eux. Beaucoup d’émotions impossible à exprimer tellement le passage de l’une à l’autre est rapide et incontrôlable. Tout se mélange. Tout m’atteint. Le moindre mot, la moindre expression. N’importe quels nuages pouvaient ternir ce paysage. Mais en cette belle journée de printemps, je me sens renaître. C’était bien la saison pour.

 

Au pied des arbres, des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux dorment, jouent, mangent, discutent, lisent.

 

On trouve des réponses dans les livres. À des questions pas encore posées, inconscientes ou trop posées. Dans tous les cas, les livres nous éclairent. Ils nous construisent. Donc pour pouvoir me présenter je devrais sans doute présenter une bibliographie avec sources et auteurs mais elle ne serait jamais complète. Les livres sont si inégaux que s’en est presque offensant pour eux. Mais là si je devais sortir un livre en particulier ce serait Connaissance et Ignorance d’Edgar Morin. Pas plus tard qu’hier j’avais un débat avec un ami sur ce passage :

 

« Le cerveau et l’esprit qui sont l’un en l’autre, ont chacun un langage incompréhensible pour l’autre. Le langage du cerveau est électro-chimique, le langage de l’esprit est celui des mots et des phrases. La relation cerveau-esprit est intelligible au premier abord. Cette relation est mutilée par les des types d’explications dominants qui s’opposent. Le premier en réducteur, il nie la réalité de l’esprit qu’il dissout dans le cerveau. Le second est disjonctif, l’esprit est une réalité propre qui dispose du cerveau comme d’une antenne de télévision ».

 

En gros, lui était peut-être plus, avec son vocabulaire, dans la première approche. Et moi, peut-être plus dans la deuxième. Mais en fait on se comprenait. On se comprend mais il y a des différences. Puis en ouvrant le livre, on tombe sur la page qui éclaircit tout. Il faudrait qu’il y ait toujours un guide, un mentor ou je ne sais quoi pour nous éclairer et nous permettre de tout comprendre et de nous accorder. Ça serait plus simple. Alors il faudrait que tout le monde ait le même guide, on se comprendrai encore mieux. Mais ça peut rapidement mal tourner cette histoire. C’est pour cela aussi que le cerveau et l’esprit s’articulent par deux sinon notre liberté serait rapidement entravée. Il faut une balance. Puis, si c’était le cas je pourrai plus faire marcher mon imagination. C’est quand même extraordinaire qu’on puisse se comprendre, que ce langage existe, qu’on puisse décrire tout et tout le monde. Chaque mot et sens raisonne de manière différente en nous et chez les autres. On est pas pareil, on a pas la même vie et heureusement. Il est donc normal qu’on ne saisisse pas tous les mots de la même manière, qu’on ait des degrés de compréhension différents, des interprétations différentes sans qu’aucune ne puisse être tenu pour vrai. C’est ce que j’aime dans les mots : leur variabilité. Ça peut leur faire défaut aussi. Si l’on cherche quelque chose de précis et d’absolu par exemple, il faudra trouver le bon mot. Mais le bon mot n’est pas encore à la portée de tout le monde. Et je veux être là pour tout le monde sans différence, donc le bon mot n’est pas une option.

 

Les prairies sont bondées, c’est difficile de trouver une place sans être collé à un autre groupe. C’est drôle même dans cet espace « sauvage » il y a des règles implicites qui perdurent.

 

Je pense que notre conformisme joue beaucoup sur ce que l’on fait et dit. Puis je vois que la surface. C’est difficile de vraiment saisir les gens. Je me construis au fur et à mesure. Tous ces gens font partie de moi comme je fais partie d’eux. Certains avec plus d’impact que d’autres c’est sûr. Nous sommes une communauté mais ce serait grossier de dire que nous sommes pas singulier. Je pense pas qu’il puisse y avoir pire insulte que la banalité. Et même si l’on n’impacte pas tout le monde, qu’on ne se lie pas avec tout le monde on a une importance. Je m’adapte, pour tout et tout le monde. Pas forcément que je le veuille. Mais, il est important de savoir s’adapter, d’être là pour les autres quand ils en ont besoin. C’est ce qu’on m’a appris, j’étais fait pour ça de tout façon.

 

J’ai besoin des autres pour exister mais je suis la bulle d’oxygène de tous ces gens. Sans me vanter, mais sans moi il n’irait pas très loin.

 

On s’attache rapidement, trop peut-être. Mais après 6 mois c’était important de se dire au revoir de la bonne façon. Pas forcément avec des mots et discours déchirants. Mais, un geste, une attention suffisent. Les actions sont plus sincères. J’ai envie de le croire en tout cas. J’ai bien envie de me dire qu’on peut finalement se découvrir dans nos actions. Le temps qui passe me marque. Je vois tout le monde grandir, je les accompagne. Il y a ce stage de fin d’étude en éducation spécialisée. C’était auprès de jeunes adolescents en décrochage scolaire. Ils ont pas le même vocabulaire, on réfléchit pas de la même façon. J’aime cette confrontation. On est différent, on ne va pas analyser les situations, le vocabulaire, les gestes de la même manière. Unité et singularité. Ça marche aussi avec moi en fait. C’est pas facile d’avoir un portrait objectif. On est construit socialement je veux dire. Alors, si certains me trouveront familier, d’autres diront que je suis coincé. L’usage des mots. On en revient toujours au même point.

C’est pour ça que je préfère observer. J’aime analyser les petites scénettes de la vie quotidienne qui m’entourent. J’aime m’essayer à des interprétations farfelues qui n’engagent que moi et mon imagination. Puis ça révèle aussi comment j’ai été socialement construit : mes stéréotypes, mon bain anthropologique, à qui je vais m’identifier. Ces scénettes vous servent plus qu’à moi.

 

On se comprend par les gestes. C’est plus simple que les mots. Ils nous trahissent moins. Les sentiments qui transparaissent nous font plus ou moins rayonner et dirigent nos actions. L’amour c’est fou. C’est un sentiment fort et difficile à exprimer. On ne peut pas poser de mots dessus. En tout cas, j’aurai du mal à vous décrire ce qu’est l’amour. Je pourrai essayer de l’exprimer à coup de figure de style complexe au sens recherché et réfléchi pendant des années à ces quelques mots. Mais je pense que ce sentiment est trop inscrit dans le moment pour pouvoir prendre du temps pour le décrire. On peut chercher l’amour parfait en prenant son temps. Mais je pense que le vrai doit rester inexprimable. C’est plus mystérieux et ça permet à tout le monde de pouvoir l’expérimenter : il n’y a pas de règle. Nos actions doivent exprimer de manière sincère nos sentiments et émotions pour avoir de la valeur.

Après il y a toujours des mouvements stratégiques comme aux échecs. Je fais des tournois d’échecs. C’est ennuyeux, on joue et on attend. Mais une fois dans la pièce, mon regard croise celui d’une nana. Je regarde le classement et je joue pour essayer de me retrouver contre elle. Mais j’ai pas été assez précis j’ai donc abandonné l’idée de la revoir. Mais 6 mois plus tard (c’est toujours 6 mois je sais pas pourquoi) à un entraînement je rencontre la meuf en question. Elle m’a avoué plus tard qu’elle aussi avait joué pour se retrouver contre moi. Tout ça pour dire que nos actions sont réfléchies et elles aussi manipulables. Mais manipulable uniquement par nos sentiments. Nos actions nous rendent vivant et je pense pas que ce soit négligeable. Cette vitalité qui nous fait rayonner, cette vitalité qui touche les gens et les infiltre jusque dans la moelle. C’est surtout ça que je vois chez les gens et que j’ai envie qu’on voit en moi.

 

Lenvironnement dans lequel on baigne à un impact incommensurable sur nous. En une seule journée les fleurs font tellement. Le mélange des couleurs et leur exotisme sont le tableau dune collectivité éclectique mais détachée.

 

Être quelqu’un c’est pas simple et rayonner non plus. Certaines existences sont plus simples que d’autres on va pas se le cacher. La mienne est remplie mais je suis plutôt transitoire pour les gens. Le dire comme ça c’est étrange mais je suis pas achevé et je le serai sans doute jamais mais je ne me plains pas. Je reçois beaucoup, pas que du bon mais on apprend à faire le tri.

Les mots sont des armes. Quelques mots et l’avis est vite tranché. Les mots changent notre perception des choses et surtout des gens. La chaleur ou la brutalité qui enrobe nos témoignages est source d’interprétation. Pendant les années lycée j’avais un devoir avec un garçon, c’est un vieux mec. Ça fait depuis 2017 je ne l’ai pas croisé. Là je passe un après-midi tranquille avec des copines. Et ce cher monsieur voulait nous rejoindre mais on préfère rester entre nous. Donc je viens de me faire traiter de vieille meuf. J’ai juste dis non, mais ça montre bien comment la société marche. Certaines violences sont des propriétés privées. Et puis certains refusent de comprendre le sens des mots. C’est un autre problème. Mais se faire insulter comme ça, gratuitement c’est aussi mon quotidien. On me dégrade souvent, je ne mérite pas d’attention. Et puis c’est pas grave si ils me font du mal ils pensent que d’autres me répareront. Mais le truc c’est que pour l’instant oui mais un jour ça deviendra beaucoup plus compliqué. Je peux pas emmagasiner la douleur et les ordures qu’on me balance pour toujours. Un jour ça leur reviendra pleine poire et ça sera quelque chose.

« T’as une vieille mentalité moi je voulais voir ce que vous êtes devenu. » Sauf que quand je l’appelle il me répond pas. Je l’ai pas invité. Et c’est plus simple de se cacher derrière des mots tapés que de me confronter. Quel courage !

 

19h : C’est l’heure de la fermeture. Les gens partent. La fin de journée approche et une nouvelle atmosphère apparaît plus détendue. Je sens moins de pression et ça me fait du bien.

 

J’aurai pu dire plein de trucs, mais au final c’est ça qui est venu. C’est ce qui me décrit à l’instant mais dans quelques heures, jours, années ce sera différent et je raconterai sans doute quelque chose d’autre. J’aime bien me dire que je suis une œuvre en perpétuel construction. Certains aspects sont plus aboutis mais dans toutes ces petites imperfections et détails que je remarque chez les autres et qu’on remarque chez moi nous caractérisent. Je ne suis pas figé. Et mon identité ne tient pas qu’à un seul fils mais en une multitude qui s’entrecroisent, se déchirent et s’unissent pour me créer.

 

C’est ainsi que les grilles se ferment, les derniers passants quittent les lieux. Le calme revenait enfin dans cette petite bulle d’oxygène au sein de la ville bruyante et étouffante.

 

 

 

 

Par Agathe, Justine et Hélyette
(étudiantes en CPGE au Lycée du Parc, Lyon)

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