Une table ronde animée par le rédacteur en chef français de Philosophie Magazine, fondateur de l’association “les nouveaux dissidents”, Michel Eltchaninoff.

Des récits uniques de résistants d’un régime dictatorial, oppressant, voleur de libertés, comptés par l’Egyptien Alaa El Aswany, l’Iranienne Reihane Taravati et le chinois Liao Yiwu.

Afin d’inaugurer cette table ronde, Mérit, une femme soudanaise, de l’association aclam, nous fit la lecture d’un texte, de la lettre sauvée, dans lequel elle décide de sauver la lettre arabe daad, signifiant l’horreur, la lumière purifiante, une lettre qui signifie dormir, qui est la conscience morale, une lettre qui signifie le rire, l’hospitalité. Une lettre qui est donc symbole de liberté. Une lettre qui n’est malheureusement pas la marque des politiciens de sa patrie.

C’est avec cet intérêt que Michel Eltchaninoff a rassemblé l’égyptien Alaa El Aswany, l’iranienne Reihane Taravati et le chinois Liao Yiwu, pour, d’une part, faire connaître les dissidents qui défendent des valeurs fondamentales, par leurs créations artistiques, comme, ici, la littérature et la photographie, et, d’autre part, pour les faire communiquer sur leurs expériences au sein de nations, et cultures tout à fait différentes.

De nos jours, ce sujet est particulièrement considérable, car le monde entier connaît une grande lassitude démocratique, de plus en plus, de nouveaux régimes connaissent un succès croissant.

En 2011, Alaa El Aswany, dentiste et écrivain égyptien, publie son ouvrage Chroniques de la révolution égyptienne (paru aux actes Sud). Cette compilation d’articles, et son engagement révolutionnaire se prolongera dans l’écriture du roman J’ai couru vers le Nil (paru aux Actes Sud en 2018), dans lequel il témoigne sur cette révolution égyptienne de 2011 dont il a participé activement pour combattre les forces militaires et islamistes, sans limites, de son pays. Cet ouvrage sera très vite censuré dans tous les pays arabes, excepté au Liban, au Maroc et en Tunisie.

Lors de cette table ronde, Alaa El Aswany a déclaré que le régime égyptien est, aujourd’hui, pire que jamais. Sous le régime de Moubarak, la population égyptienne avait le droit à une liberté de “bavardage”. Il leur était autorisé d’exprimer, un minimum, leur mécontentement vis à vis du gouvernement. Cependant, aucune action n’était entreprise pour répondre à leurs insatisfactions (“Vous dites ce que vous voulez, je fais ce que je veux.”). Depuis l’échec de la Révolution égyptienne de 2011, depuis la prise au pouvoir des religieux, la population est entièrement dépourvue de liberté, même de liberté de “bavardage”. Comme l’a si bien illustré Alaa, un tigre blessé est plus dangereux qu’un tigre qui n’est pas blessé. Le tigre qui n’est pas blessé a confiance en lui même, il n’a pas besoin d’attaquer tout le monde, tandis que le tigre blessé va se souvenir, pour toujours, de sa blessure, qu’il a été blessé, et aura cette obsession constante, que cela pourrait arriver de nouveau. Le tigre blessé est le régime égyptien d’aujourd’hui. Il est pire que le régime sous Moubarak, car les dirigeants du pays ont vécu la Révolution et feront tout pour que celle ci ne se répète pas. Alors, ce gouvernement invente toute sorte d’actions qui peuvent aller jusqu’à l’absurdité, pour assurer son pouvoir. Bien évidemment, les artistes, tout comme Alaa El Aswany, sont une des premières victimes. A la sortie de son ouvrage, J’ai couru vers le Nil, il fut poursuivi devant le tribunal militaire. Pour son procès il reçu l’accusation d’avoir insulté le “président”. Le régime le suspectait même d’être agent du CIA d’Israël et d’Iran… Aujourd’hui, toute activité littéraire lui est interdite au sein de son pays.

Participer à une Révolution, nous a-t-il communiquer, c’est réaliser ce qu’est la véritable signification de peuple. Participer à une Révolution, c’est du courage, celui d’affronter ses peurs. Participer à une Révolution c’est également créér un lien fort avec la mort. Elle est constamment présente, on la voit, et on sait qu’à n’importe quel moment elle peut nous tomber dessus. Alors, nombreux sont ces Hommes, qui sont tombés dans ce combat, qui est celui pour la liberté. Pour cette révolution, ces Hommes avaient le courage de donner leur vie.

Quand une nation est touchée par un régime dictatorial, tous les individus sont affectés, même ceux qui ne trouvent aucun intérêt dans la politique. Jeune, Liao Yiwu, aujourd’hui exilé en Allemagne depuis 2011, se disait complètement détaché de la politique. Il ne l’aimait pas, il ne voulait rien avoir avec. Il refusait même toute activité au sein des manifestations de Tian’anmen. Il préférait écrire des poèmes. Pourtant, en 1989, un ami, qui participait à ces manifestations, rentra chez lui avec un transistor, pour lui faire écouter les coups de fusils, le bruit de massacre de ces manifestations. Frappé par cette violence exercée sur ses proches, Liao Yiwu a enregistré un poème Le grand massacre à travers lequel il divulguait toute cette agressivité, sur plusieurs cassettes, qui, malheureusement pour lui, ont circulé dans 20 villes chinoises.  D’avoir été l’auteur, d’avoir enregistré, et, en quelque sorte, d’avoir partagé des poèmes, dénonçant la violence de son régime totalitaire lui valut 4 ans de prisons dans 4 prisons différentes, 4 ans d’enfer, enfer, étant loin d’être un oxymore. Comme Alaa, Liao fut victime de toute sorte d’invention aberrante de son gouvernement. Lors de son premier procès par exemple, il fut emmené, menotté par les foreces de l’ordre, aux toilettes. Sans le laisser terminer, il fut entraîné de force devant l’audience dans des conditions fortement inconfortables. Dans son ouvrage Des balles et de l’opium, Liao Yiwu a récolté plusieurs témoignages bouleversants de chinois, qui, comme lui, se sont opposés aux forces militaires, sans intérêt politique, mais par simple amour de liberté.

Les conditions inhumaines de la prison lui ont appris à se battre comme un loup, mais également à prendre conscience de la liberté intérieure. “Sans liberté intérieure nous ne sommes pas libre.” Cette liberté intérieure, il l’a saisi grâce à un vieil homme, à bout de force, qui avait passé des années et des années entières enfermé en prison. En hiver il faisait un temps glacial, et malgré cela, il jouait de la flûte.

Être enfermé en prison est une chose, en ressortir en est une autre. Pour tous les chinois résistants au régime qui ont été libérés, d’autres ont été condamnés à mort, ce fut l’impossibilité à s’intégrer au sein de la société. Ils furent marginalisés, montrés du doigt et n’étaient pas du tout considérés comme des héros.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le courage de la dissidence