A la façon de François Beaune : Marie N

Projet : Atelier des récits


Par Gabrielle,

étudiante en CPGE au Lycée du Parc

 

Elle s’appelle Marie. Marie N., mais elle veut pas qu’on l’appelle Madame N., donc c’est juste Marie. Souvent quand je parle d’elle je l’appelle quand même Madame N. Je l’ai rencontrée l’été dernier quand je travaillais comme aide à domicile dans le 8ème à Marseille. J’allais chez elle le jeudi matin de 8h à 11h pour l’aider à faire le ménage et les courses.

Elle a 83 ans et elle est née à Tunis dans une famille italienne. Elle parle bien français mais elle a gardé son accent italien. Surtout elle roule les r. C’est l’ainée de cinq enfants. Elle a vécu en Italie mais pas longtemps. Quand elle arrivée à Marseille avec son mari je crois qu’elle avait 19 ans et lui un peu plus. Ils avaient rien pas un sou, elle m’a dit, mais ensuite ils ont travaillé dur pour gagner leur vie. Elle a travaillé à l’usine Flan de France à Aubagne pendant 30 ans et le soir après le boulot elle faisait des ménages. Avant elle aimait beaucoup aller au cinéma avec son mari. Mais maintenant c’est trop difficile parce qu’elle est vieille et son mari il est mort.

Marie a un chien qui s’appelle Tobby. C’est un petit chien qui fait que bouger et qui aboie tout le temps. Tobby c’est son fils, son bébé. C’est l’amour de sa vie. Elle avait pas pu avoir d’enfants avec son mari alors aujourd’hui elle vit pour son Tobby. Sur mon répondeur une fois elle a laissé un message et elle a commencé par « Allo Gabrielle ? oui c’est Marie, c’est Marie N.,… c’est la maman de Tobby. »

Mais c’est vrai que son Tobby il a du mérite. Deux fois par jour elle doit le sortir alors deux fois par jour elle descend ses escaliers et elle voit son quartier. Elle marche elle s’arrête, elle dit bonjour elle discute, elle repart. Tout le temps elle s’arrête pour parler avec un tel dire bonjour à un tel autre. Elle connait tout le quartier. Elle dit qu’elle est connue comme le loup blanc. Elle fait très attention pour traverser la rue Fort Notre Dame parce qu’il y a des gens au volant qui ne s’arrêtent pas même lorsqu’elle leur fait signe.

Elle va à la boulangerie puis au LIDL de la Rue Sainte, où elle achète des tonnes de nourriture parce qu’on sait jamais et parce que LIDL c’est pas cher, c’est super. Dans ses placards il y a de la nourriture pour trois mois. Moi je garde Tobby devant le LIDL. Ça fait pas 5 minutes qu’elle est dans le LIDL que c’est déjà le bout de sa vie, à Tobby. Peuchère il pleure comme s’il avait été abandonné. Elle elle déambule dans le supermarché avec son cabas elle parcourt tous les rayons, elle prend un produit et elle le repose, elle parle avec les autres clients après elle ressort avec son sac plein à craquer et on rentre.

Le jeudi matin elle m’attend à 8h avec le café et un pain au chocolat de LIDL. Je petit déjeune puis je fais les vitres pendant qu’elle passe la serpillère. Elle est très maniaque. J’ai jamais vu des vitres aussi propres que les siennes mais elle les trouve toujours sales. La poussière existe pas chez elle. Mais on astique, on parle et après on sort avec Tobby. Et quand on rentre elle m’offre toujours quelque chose à manger. De toute façon c’est impossible de refuser. Elle est diabétique mais elle boit des sodas et elle mange des beignets (de LIDL).

Et puis elle croyante comme tout. Pas pratiquante mais elle a la foi. Elle a pas eu une vie facile. Elle a perdu sa mère à 14 ans, du coup c’est elle qui s’est occupée de ses frères et sœurs, elle a travaillé à l’usine, pas eu d’enfants alors qu’elle en aurait voulu, perdu son mari il y a 2 ans et demi. Ses os la font souffrir parce qu’elle s’est cassé de partout en tombant d’une échelle chez elle il y a quelques années. Elle a des cicatrices sur les bras à cause des opérations. Je parie qu’elle faisait les vitres quand elle est tombée. Mais grâce à dieu elle dit qu’elle est pas trop mal qu’elle a de la chance d’être là.

Et elle continue de vivre. Souvent elle appelle la famille en Italie ou dans la région. Ils viennent la voir. L’infirmière reste manger à midi parfois. Et deux fois par jour, sa robe d’été ses mules, son sac à main qu’elle met en bandoulière sa polaire, Tobby, ses clés et elle sort, à l’air libre.

Hier je l’ai appelée. Au début elle m’a pas reconnue au téléphone ça faisait longtemps. On a parlé et bientôt j’irai faire la promenade de Tobby avec elle. Et avant de raccrocher elle a dit « bisous bisous Gabrielle, bisous ciao, ciao, bisous, ciao ».

 

Le 14.04.21 à Marseille

Gabrielle

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