par Emma B,
étudiante en CPGE au Lycée du Parc
« La ville
D’un jaune doré la voilà
Le son d’un -i nous sort du nid,
Alarme aiguë qui nous apporte la vue.
La ville nous emmène dans ses hautes tours.
Manuscrites, ses -l se déploient, amples et souples
Tandis que dactylographiés, les petits bâtonnets ne nous élèvent pas moins vers les sommets.
Les gratte-ciels se frottent au jour assoupi ;
Et les ronronnements de contentement remplacent les ronflements.
Les voitures démarrent, leurs yeux s’ouvrent sans fard.
Sur le littoral, le soleil sort de son lit.
La ville englobe vie, vive et scintille
C’est l’image d’un éclat accroché, sur un clocher bronzé.
La cité
Sa teinte n’atteint pas l’homogénéité
Car le terme amènerait l’effluve des orangers si le dernier -é ne portait pas une goutte salée de marée azurée
La cité appartient à la multitude, c’est là sa politique attitude.
Désormais habitée par la cécité, elle récite des idées plébiscitées.
Pour conjurer cet effet, il faut en appeler au temps
Conjuguer au passé, c’est la récitation des enfants.
La cité née avec les anciens
Aujourd’hui elle n’est. Sera-t-elle demain ?
L’unité c’est la philia, l’amitié encourage le débat
Voilà le message aristotélicien qui revient créer du lien
La Grèce antique est un héritage historique
Et elle offre une Idée de cité dans les citations de Platon.
La métropole
Les o de la métropole ne sont pas haut perchés. Ils dessinent plutôt l’entrée de tunnels enterrés. Dans la métropole il y a le grondement du métro et les couleurs métalliques d’un -é électrique.
Si de nombreux étrangers pensent : « La métropole m’est trop agressive », c’est parce que l’agglomération met trop de pôles en position d’agrégation. Pour celui qui n’a pas appris à associer, la métropole ne saurait faire société.
La métropole est un espace à géométrie variable où nos déplacements expriment l’ampleur de notre tourment.
Parcours rectiligne et angulaire, le rapport est utilitaire, il s’agit de jaillir du point B pour s’enfermer au point C en ayant le moins possible effleuré la chaussée.
Aire circulaire où l’on peut trouver tout le nécessaire. Serait-ce le signe d’un quartier communautaire ?
Enfin voici les itinéraires des citadins experts, ces grandes balades aléatoires, celles d’une rareté notoire. La métropole fait l’objet d’un apprentissage, le nouvel arrivant confiant flâne dans tous les passages. Il voyage.
La capitale
La capitale est l’hôte de toutes les cabales.
Par quelques homonymes honnêtes, elle dissimule ses aspirations secrètes.
Etymologiquement, elle se revendique tête pensante
Sans calcul d’économie, la capitale fusionne avec le capital. Le « eux » final est oublié.
Pour l’homme d’une importance capitale, les autres sont un impensé.
Sous couvert de peine capitale, dans le temps elle décapite même l’homme émérite.
Ces exhibitions du pouvoir estompent les ombres noires sur les trottoirs
Celles qui s’enveloppent dans la cape de la capitale
Rejoignant la bulle des noctambules.
Dehors
« Dehors » c’est le mot de l’enfant citadin
Il ignore que l’extérieur est encore entre les murs urbains.
Dans son œil brille la première ville, celle qui pétille.
Il ne connaît pas le rapport pressé aux pavés bétonnés de la métropole de l’efficacité.
Innocent des jugements de la capitale, sans intérêt pour les actualités nationales.
La « cité » n’est pas synonyme de nostalgie, c’est dans le présent qu’il joue et rit.
Aller dehors c’est l’injonction du jour
Il faut rejoindre les amis dans la cour.
Les bâtiments scolaires se couvrent des mille nuances de couleurs primaires.
La ville de l’enfant, c’est le verdoyant du parc avec son toboggan. »
Ainsi s’achève ta première analyse sémantique. C’est pour toi un travail propédeutique.
Tu t’obstines à vouloir traduire la globalité comme si le Tout pouvait s’expliquer.
Dans un double mouvement permanent tu déclines et dérives puis désignes et archives
Mais chaque nouveau modèle semble frêle.
Nulle part la diversité ne se laisse capturer. Alors tu désespères de l’apprivoiser.
Ce Tout, tu le saisis par partie et la synthèse le simplifie.
Les académies rompent les étudiants à l’exercice du raisonnement par parties. Outils de pensée ou ennemi de totalité ?
Les partis s’invitent jusqu’en politique.
Ils jouent et s’engagent dans une partie pratique.
Mais en composant ainsi de la multitude par addition, ils font fuir comme l’addiction.
Et lorsque tu regardes sur la place centrale, tu constates le vide abyssal.
La vérité c’est l’atonie car tous sont partis.
Alors ce soir il n’y a pas de clavier, seul le travail à la main crée du lien. A chaque lettre, tu veux retracer un peu de l’être.
Mais tu n’es pas sûre de te faire comprendre, tu te dis qu’il faudrait reprendre. Qu’il y a une impatience dans le fait d’écrire se heurtant à l’impossibilité de tout saisir. Il faut retrouver les mots à accentuer, remonter au communiqué. Jusque-là tu composais pour toi, sans besoin de préciser tes choix. Mais tu ne peux parler seule sans doute, qu’à condition que quelqu’un t’écoute.
Pour tisser une belle maille sans faille, il faut retrouver la taille des détails.
Tu penses à l’espace, ce mot qui crée tant de place. Il t’emporte dans des parallèles. Tu rêves d’aligner virtuel, intemporel, immatériel et éternel. Il y a comme une homologie affective entre ces formes substantives. Pour toi, c’est la création d’une nation par-delà la nature, entre lecture et écriture.
Ce réseau, tu échoues à le mettre en mots. Il te fascine mais tu ne sais comment trouver les bons signes pour partager ce que tu imagines.
C’est l’idée d’un non-lieu qui soit un entre-deux. Un domaine, où auteurs et lecteurs échangent une relation un peu plus qu’humaine. Entre le privé et le public, peut-être s’agit-il d’une intimité sans physique ? Dans cet endroit passent la couleur, la lumière, le son et toutes perceptions qui, entre le concept et l’onde, n’appartiennent pas tout à fait au monde. Pour accéder à ce là, il suffit d’ouvrir un roman. Avec Ougarit, c’est instantanément que se manifeste à toi un hyperprésent vieux de deux ans. Dubaï t’apparaît comme un personnage, entre ces pages elle aura toujours le même âge. Cette grande ville surgit quand tu lis, elle vit quelque part entre de multiples esprits. Tu penses : elle est une idée à communiquer, un territoire à explorer, un nom prononcé, une carte à déchiffrer, une ville à habiter. En bref, une globalité que seul un aleph pourrait capturer.
Si même en toi la Dubaï change constamment d’apparence alors comment définir son appartenance ? Des rues décrites, il ne te reste que des fragments hétéroclites. Chaque fois que tu rassembles ces éléments éparpillés, tu transformes l’image mémorisée. C’est la sculpture modulable d’une plasticité recyclable.
Y-a-t-il quoique ce soit qu’on puisse énoncer sans le figer ?
Avec ironie, tu te dis que ce roman aux éditions Inculte te livre des vérités occultes.
Comment restituer la densité de l’unité ?
Tu te heurtes à ton impossibilité de concilier les tempêtes suscitées par Oriol, ce bon conteur dont la voix émerge des profondeurs et fait résonner tes envies d’ailleurs avec le parc animalier animé où des hippopotames extraterrestres se couchent à la queue leu leu le long du fleuve autoroutier.
Comment rassembler la tendresse à la simple évocation des traditions culinaires dont nous héritons à chaque génération, et la représentation de townships poussant comme des champignons si ce n’est par la répétition du son -on ?
Comment tout simplifier pour mieux le partager tout en préservant la complexité ?
Ougarit t’a autant livré une ambiance qu’il t’a ramené dans ton enfance, et des échos communs du passé tu vois le souvenir remonter.
- Maman, je m’ennuie.
- C’est bien, continue avant que le temps ne fuie.
L’effet performatif du langage dans son usage empreint de gravité chaque message. Que ce serait-il passé si Ougarit avait envoyé son mail complet à Azadeh ? Existe-t-il un univers où sont archivées, toutes les opportunités ratées ? Tous les textes fantômes délaissés ?
Tu es terrifiée à l’idée qu’une onomatopée puisse tout changer. Alors tu te tais.
Quelques semaines plus tard tu reviens, ce retour était incertain.
Projet déraisonnable que de décrire pleinement une ville instable
Le tissage d’ambivalences est une richesse qui t’a réduite au silence.
Céder à la force de la perfection est faire preuve de sujétion
Et le désir n’anime qu’en tant qu’horizon.